Le
père de famille
Son
second mensonge, l'annonce de son cancer, a valu à
Jean-Claude de s'attacher enfin la femme qui, jusqu'alors,
se refusait obstinément à lui : Florence,
une cousine éloignée, qu'il voyait parfois
dans les fêtes de famille. Elle était à
ses cotés à l'université de médecine
puis ayant raté l'examen de 2e année, s'était
rabattue sur la pharmacie.
Il
avait choisi le lymphome, maladie capricieuse qui pouvait
lui permettre d'alterner des périodes de rémission
et surtout de rechute sans trop éveiller l'attention.
Lorsqu'il était inquiet d'être démasqué,
Romand court-circuitait toute question en se plaignant de
douleurs épouvantables, suscitant la compassion.
Pendant
leurs études, Jean-Claude et Florence avaient l'habitude
de bachoter ensemble et de se soumettre mutuellement à
des examens blancs. Elle lui faisait réviser ses
questions d'internat et lui son programme de pharmacie.
Ils
se sont mariés. Caroline est née le 14 mai
1985 et Antoine le 2 février 1987. Jean-Claude Romand
ramène pour la naissance de ses enfants de magnifiques
cadeaux "offerts" par ses patrons de l'OMS et
de l'INSERM, qui par la suite n'ont pas oublié les
anniversaires. Florence, sans les connaître, leur
écrivait des lettres de remerciement qu'il se chargeait
de transmettre.
La
famille, incluant parents et beaux-parents, constituait
le centre de sa vie. Jean-Claude Romand dit qu'il était
un faux médecin mais un vrai mari et un vrai père,
qu'il aimait de tout son cur sa femme et ses enfants.
Sa
femme, du moins au début de leur mariage, ne se doutait
de rien, Jean-Claude était un homme " très
cloisonné ", disait-elle. Sous ce prétexte
si banal, il n'a jamais invité ses collègues
de l'OMS à la maison. C'était ce qu'elle appelait
le " côté ours " de son Jean-Claude:
"Un de ces jours, je vais apprendre que mon mari est
un espion de l'Est.".
Source
: E. Carrère, L'adversaire, ed POL, 2000
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